Chapitre 24
Un hoquet d’exclamation brisa le silence imposé par Acier survit par des murmures et miaulements apeurés. Le Clan du Sang ? Crépuscule n’avait aucune idée de ce qu’il en était mais ce n’était pas le cas de ses ainés. La plupart, notamment Flamme, roulaient des yeux ou fouettaient l’air de leur queue, inquiets. Était-ce un Clan de la forêt ? Cela ne l’aurait pas spécialement étonné, vu leur côté sanguinaire, mais il ne voyait pas quelle serait la raison de leur venue en ville, eux qui pouvaient jouir des ressources des bois.
-« Silence ! » gronda Acier, faisant retomber le silence « Je ne vous ai pas fait rassembler, vous, mes meilleurs Soldats, simplement pour piailler comme des chatons apeurés. Le Clan du Sang a été créé il y a peu et commence à peine à faire parler de lui. Leur chef est simplement en train de recruter autant de chats que possible, et il n’hésite pas à prendre des chats domestiques ou, pire, des membres de notre Clan. »
Tous les chats présents se regardèrent , une lueur d’effroi dans leur yeux mais également… d’excitation ? Le mâle noir retint sa respiration, stupéfait. Certains pensaient-ils réellement à quitter le Clan ? Passé le choc des révélations le matou réfléchit et reprit ses esprits : évidement que certains membres du Clan sauteraient sur la première occasion pour s’enfuir. La plupart restaient uniquement pour la protection et la sureté que procurait Acier, nullement par loyauté. Même si ce Clan du Sang ne lui disait rien qui vaille, son chef ne pouvait être pire qu’Acier. Pourquoi pas après tout ? Plus d’épreuves, plus de tyrannie… Si cela était possible ailleurs, il devait aller saisir sa chance. La protection du reste de sa famille n’était plus de son ressort désormais. Vivre heureux avec Étoile, voilà tout ce qui lui importait.
-« J’imagine qu’il est inutile de préciser que toute tentative de fuite ou de trahison ne sera pas pardonnée. Vous serez bannis à tout jamais du camp et pourchassés pour traîtrise. Je ne vais pas non plus vous détailler ce qui arriverai à vous ou à votre famille restée sur place, vous avez sûrement assez d’imagination pour cela. »
Les jeux de regard entre félins cessèrent brutalement. Le chef sombre avait du remarquer l’enthousiasme trop poussé de certains, et ce léger avertissement apparent était en fait une menace de mort directe. Crépuscule ne pouvait que trop facilement imaginer le sort réservé aux déserteurs.
-« A partir d’aujourd’hui des patrouilles régulières seront menées. Les Soldats devront se présenter ici chaque jour afin que mes fils vous attribue vos missions journalières. Le Clan de la Rue ne se laissera pas intimider ! »
« Clan de la Rue, Clan de la Rue ! » Les voix des gardes d’Acier galvanisèrent la foule pour qu’ils miaulent tous à l’unisson. Au bout d’un moment le chef conclut :
-« Ça ira, vous pouvez disposer. Sauf… » il examina un moment la foule avant de miauler « Moineau, Flamme et Hardi. Vous restez là, j’ai d’autres plans vous concernant. »
S’éloignant de la foule, le jeune mâle ne pu s’empêcher de jeter un regard vers son père, inquiet. Bien qu’il avait toujours un fort ressentiment le concernant, il ne pouvait nier son attachement envers son géniteur. Il repensa à Étoile et chercha Oiseau du regard. Se dernier s’éclipsa rapidement et, alors que le mâle noir voulut le rattraper, un chuchotement parvint à ses oreilles :
-« Pssss. Crépuscule ! »
Agitant les oreilles pour localiser la voix, il parvint à sortir du groupe et se faufila entre les poubelles qui trônaient sur la place. C’était à cet endroit que Duchesse l’avait prit à part lors de la cérémonie du choix. Seulement cette fois-ci, l’odeur qui lui parvint aux narines était bien plus familière. Sans hésitation il s’empressa de se coller contre la fourrure grise qui l’attendait. Les mots étaient inutiles, seul un long ronron sortit de la gorge.
-« Tu m’as manqué aussi, mon frère. » murmura Pluie
Au bout de quelques instant le matou se retira et considéra sa sœur : elle était magnifique, avec un poil brillant et lisse, ses côtes n’étaient pas visibles sous ses pois. « Elle ne mène pas la même vie que moi. » ironisa son frère qui, malgré sa musculature, n’avait guère de gras. Mais il n’avait aucun ressentiment envers elle, au contraire, il était heureux et soulagé de la voir ainsi.
-« Chaton ? » souffla une voix à peine audible
Cette fois ci ce fut un hoquet de chagrin qu’il dû retenir en constatant ce qui se tenait devant lui. Autrefois c’était une jeune chatte au poil aussi immaculé que la neige. Désormais ce n’était qu’une chatte misérable, au poil emmené et au regard éteint. Crépuscule chercha en vain une once de joie chez elle, il ne trouva que désespoir. Son bonheur fut ravivé lorsqu’il vit dans ses yeux verts une lumière apparaitre.
-« Tu as changé grand frère. Tu as l’air… heureux. »
Le matou noir déglutit, mal à l'aise devant le constat non sans vérité de Boule. Comment acquiescer joyeusement devant elle ? Comment lui raconter ces journées passées avec Étoile à chasser et se toiletter mutuellement ? Mais est-ce que mentir lui ferait plus plaisir ? Ce n'est pas du genre de Boule de se délecter de la souffrance d'autrui. Il finit par soupirer :
-« Oui, je suis enfin heureux. »
Ce fut encore plus douloureux de voir les yeux de sa soeur briller de joie en réaction à ses miaulements. Elle est trop bonne pour faire partie de ce clan. Elle aurait dû naitre chat domestique et passer sa vie à ronronner au lieu de souffrir.
-« Je suis heureuse pour toi, pour vous trois. Tu as trouvé une nouvelle famille qui te rends plus heureux que jamais et Pluie et Pétale deviennent plus sûres d'elles de jour en jour. Je suis infiniment reconnaissante envers Pétale qui a travaillé si durement pour nous réunir. »
-« Je ne peux pas la voir ? » miaula Crépuscule, triste de l'absence de la femelle écaille
-« Elle m'a laissé sa place pour que je puisse te voir. C'est sincèrement la meilleure d'entre nous. Pétale m'a promis que quand Aurum accèdera au pouvoir et qu'Argent le secondera tout changera pour le mieux. Et peut être pourrons-nous être de nouveau une famille ? »
Elle avait miaulé tout cela d'une manière si optimiste... Crépuscule voulait aussi croire la même chose mais il s'était résigné depuis longtemps. Acier n'était pas près de mourir, de vieillesse ou d'autre chose, et il n'avait personnellement aucune garantie que ses fils soient meilleurs. Cependant il se retint de tout commentaire et poussa un ronron d'approbation, espérant sincèrement qu'elle aie raison. Des miaulements lointains firent sursauter Pluie qui miaula vivement :
-« On ne peut rester plus longtemps. Bonne chance Crépuscule. »
Le félin de jais eu à peine le temps d'onduler la queue que les deux femelles filèrent entre les ruelles. Le mâle repartit dans la direction opposée, le coeur lourd. Cette parenthèse avait été trop courte et trop longue à la fois. Voir ses soeurs lui avait fait certes du bien mais avait également ravivé d'anciennes plaies qu'il avait fermé durant ces dernières lunes. L'insouciance et la joie dont il avait fait preuve semblait se terminer avec l'annonce d'Acier. C'était avec la boule au ventre qu'il rentra à la tanière
-« Crépuscule ! »
L'odeur familière d'Étoile le sortit des pensées dans lesquelles il était plongé pendant de nombreuses minutes. Il ne put rien miauler qu'elle enfouit son museau dans son pelage d'ébène. Après une courte hésitation il fourra lui aussi son museau dans ses longs poils bicolores. Malgré son aura rassurante son coeur était toujours alourdit par tout ce qui venait de lui tomber dessus. La chatte rousse et blanche ne mit pas beaucoup de temps à se rendre compte du problème.
-« Que s’est-il passé ? Qu’est ce qu’Acier a dit ? » miaula-t-elle, inquiète
-« Rien… Rien de grave. »
Il expliqua la situation de la manière la plus décontractée possible sans non plus omettre quoi que ce soit. Mais il ne pouvait tromper Étoile et cette dernière miaula :
-« Si rien de grave n’a été annoncé, qu’est ce qui te tracasse ? »
Il hésita à lui dire ce qu’il pensait réellement, il n’avait pas envie de l’affoler. « Pas de ça, je ne peux plus rien lui cacher désormais, je dois tout lui partager. » Il enroula sa queue avec celle de sa compagne et miaula :
-« Pendant deux lunes j’ai vécu comme dans un rêve à tes cotés. Tous ces cauchemars que je faisait lorsque j’étais seul, les trois épreuves, tout cela je l’avais mis derrière moi. Mais revoir mes sœurs et les félin que j’ai côtoyé… Cela me ramène en arrière. »
Il regarda ses pattes, penaud de miauler comme un chaton. Pour Étoile il voulait se montrer fort. Or il avait parlé tel un chat que quelques lunes seulement. La femelle rousse et blanche colla sa fourrure à la sienne et ronronna :
-« N’aie pas honte, c’est normal ce que tu ressens. Moi aussi me retrouver sans toi m’a rappelé des souvenirs épouvantables et j’avais envie d’une seule chose c’est courir dans l’antre d’Acier pour être à tes côtés. Nous sommes ensemble désormais. »